Le grondement sourd

(Étienne Vanden Dooren, Éditions du Basson, 2 août 2020)

Nous ne l’avons pas vu venir. Nous avons hissé des barricades bien-pensantes contre l’invisible. Nous avons tissé de vaines toiles d’araignée en toc. Nous nous sommes recroquevillés, enfermés. Nous avons rêvé l’invisibilité pour échapper à un soi-disant monstre. Nous avons pissé dans nos frocs à les infecter. Mais le monstre n’était pas le désigné.

Oui, nous sommes infectés. Nos frocs se raidissent à nous empêcher de marcher.

Il a squatté nos neurones et gangrené nos ventricules. Il les a phagocytés, vidés de leur sens et de leur maigre substance. Trop occupés à fonctionner pour faire fonctionner un absurde système, nous nous sommes englués dans des galères partisanes et de funestes langueurs. Mais ce n’est pas le pire.

Nous ne l’avons pas vu venir. Lui là, le moule rigide et creux, le carcan sorti de la fange, fabriqué à la hâte, imposé au bulldozer. Il passe par toutes les mesures imposées pour notre bien, par toutes les figures dépossédées de leur sourire. Il se nourrit de nos failles, celles-là mêmes qui nous fondent et nous humanisent. Il nous sépare, nous distancie, nous fait oublier la chaleur des doigts, les peaux et les baisers.

Je sens le vent froid, l’air sec, la chape de plomb. La tétanie m’envahit. J’accueille la lassitude. Mes muscles s’engourdissent. Je deviens étranger. Lâcher tout, dériver lentement et s’endormir. Le grondement sourd s’infiltre, s’incruste, ravage.

Ne pas l’accepter. Ne pas s’adapter. Résister aux dirigeants imbéciles et tortionnaires. Résister à la sournoise léthargie qui nous souffle de plier l’échine. Résister au venin institutionnel qui souffle notre flamme à nous désincarner. Surtout ne pas dormir.

Ne mourons pas des diktats. Ne mourrons pas du délire. Ne nous laissons pas obsolescer. Ne nous laissons pas pousser dans la fosse commune. Nous ne sommes pas des numéros.